“J’ai eu de la chance, j’en suis revenue.” Ginette 78599 ▽
Mercredi 10 et jeudi 11 janvier 2024, le lycée Notre-Dame des Aydes recevait un témoin de l’Histoire, une passeuse de mémoire : Mme Ginette KOLINKA.
Cette femme de presque 99 ans (le 04 février !) a successivement captivé nos élèves de Terminale, de Première puis de Seconde pendant 2 heures à chaque fois : un véritable marathon. Un marathon pour le devoir de mémoire.
« Je vis en même temps que je raconte. »
Dans un discours inlassablement répété, Mme KOLINKA raconte. Elle fait vivre les personnages de son histoire, car ils ont vécu la grande Histoire. Elle donne des détails que seuls des témoins ayant vécu cette période peuvent évoquer. Elle n’hésite pas à utiliser parfois des images froides, glaçantes qui lui traversent l’esprit pour confronter les élèves à sa dure réalité.
Tour à tour, elle se met à la place de « ces messieurs les nazis » quand ils se sont réunis pour trouver le moyen le plus efficace de tuer les millions de juifs d’Europe. Peut-être un ingénieur agronome nazi a-t-il alors évoqué le pesticide qu’il recommande pour traiter les champs du Reich et exterminer ainsi toute la vermine qui se nourrit des récoltes des aryens. Le Zyklon B est alors retenu comme la solution finale.
Elle raconte ensuite leur arrestation : la sienne, et celle de son père, Léon Cherkasky, de son petit frère Gilbert (12 ans – l’âge de mon fils) et de son neveu de 14 ans ; puis de leur emprisonnement à Drancy. Dans un récit où se mêlent le présent et le passé, c’est à ce moment qu’elle imagine les pensées de son père, qui n’a pas osé lui dire à quel point elle était naïve à ce moment-là. Naïve de penser qu’ils allaient rejoindre un camp de travail, naïve d’imaginer que « ces messieurs les nazis » les solliciteraient pour coudre des pantalons – après tout, son père avait bien un atelier de confection avant que l’état français ne lui interdise de travailler pour ne pas côtoyer les non-juifs. Naïve de se voir bientôt travailler avec son frère et son neveu dans les champs ou les usines.
Mais le départ de Drancy vers l’horreur donne le ton et son récit du transport dans les wagons à bestiaux pendant 3 jours et 3 nuits dans des conditions d’hygiène inimaginables abasourdissent les élèves. Pourtant, ils connaissent l’histoire, ils connaissent cette Histoire mais les détails apportés, les pensées partagées valent mieux que tous les livres. Cette Histoire est vivante parce qu’elle est vécue par leur interlocutrice au moment même où elle leur raconte.
Le reportage
Aparté : Mme KOLINKA sait qu’elle s’adresse à des lycéens : ils ont donc tous plus de 15 ans. Alors elle leur dit : « quand je vais dans un collège, je demande que tous les élèves qui ont moins de 15 ans se lèvent. Alors toute la salle se lève et je leur dis : vous êtes morts ».
En effet, les enfants qui ont moins de 15 ans ne sont pas considérés comme des travailleurs. Ils sont jugés inutiles. Alors ils sont assassinés. Les personnes âgées également. C’est ainsi que son père Léon et son frère Gilbert sont emmenés à la mort dès leur arrivée.
Le convoi 71 arrive le 13.04.1944 au camp d’Auschwitz-Birkenau.
Après le transport dans les wagons à bestiaux, c’est la poursuite de l’humiliation avec la nudité, la tonte et le tatouage. Jeune fille de 19 ans, Ginette est marquée par ces corps nus autour d’elle, si différents et pourtant tous semblables. Qu’est ce que ces corps nus avaient-ils de si différents des autres qu’on veuille autant les exterminer ?
Elle évoque ensuite son travail dans le camp et la sélection « à chaque arrivage » de nouveaux déportés, venus remplacés les faibles qui ne peuvent plus travailler. Ils sont alors assassinés eux aussi, quand ils ne sont pas déjà morts de faim, d’épuisement, ou de maladie.
En octobre 1944, elle est transférée au camp de Bergen-Belsen, où elle travaille dans une usine de pièces d’aviation. Là, un ouvrier allemand lui sauve la vie, en lui donnant régulièrement du pain rassis, ou même un bout de fromage à manger.
A son arrivé au camp récemment libéré de Theresienstadt, elle a contracté le typhus. Prise en charge par les alliés, elle y est soignée puis rapatriée à Lyon et ensuite à Paris, pour retrouver sa mère et quatre de ses cinq sœurs.
Entre la candeur de la jeune fille de 19 ans emprisonnée à Drancy qui s’imagine déjà travailler dans les champs ou les usines du Reich et l’audace de la femme de 20 ans, 26 kg qui garde la femme morte à ses côtés dans le train entre Bergen-Belsen et Theresienstadt pour avoir une part supplémentaire de nourriture, il ne s’est écoulé que 15 mois.
15 mois d’enfer.
“Musulmans, juifs, noirs, chinois… on est tous des êtres humains. On a tous le droit de vivre. Vous êtes maintenant des passeurs de mémoire. A vous de raconter mon histoire.” Ginette 78599 ▽
Extrait de la bande dessinée : “Adieu Birkenau”
Le reportage
Ségolène CATROUX
enseignante-documentaliste